La cité du futur

Robert Charles Wilson, Lunes d'encre, 2017, 352 p., 16€ epub avec DRM


D'un sujet rebattu, le voyage dans le temps, Robert Charles Wilson y apporte une petite touche de nouveauté et une réflexion éthique sur le concept de tourisme et de progrès. Cependant, le résultat s'avère en demi teinte.



Présentation de l'éditeur :


Pour cinq ans seulement, jusqu’en 1877, la cité de Futurity dresse ses immenses tours jumelles au-dessus des grandes plaines de l'Illinois. Depuis Futurity, des hommes du futur viennent visiter le XIXe siècle. Et, contre une fortune en métaux précieux, les autochtones peuvent dormir dans la tour n° 1, véritable vitrine technologique d’un incompréhensible XXIe siècle. C’est dans cette cité, construite à partir d’un futur parallèle, que travaille, comme agent de sécurité, Jesse Cullum, un autochtone. Parce qu’il a sauvé le président Ulysse Grant d’une tentative d’assassinat, Jesse se voit proposer une promotion : assisté d’une femme du XXIe siècle, il va devoir mener l’enquête. Mais que va-t-il réellement découvrir ? Un complot pour tuer le président… ou les inavouables secrets de Futurity ?

Mon ressenti :


Deux événements marquèrent le premier septembre dans la mémoire de Jesse Cullum. D’abord, il perdit ses lunettes Oakley. Ensuite, il sauva la vie du président Ulysse Grant.
En vérité, le secours apporté à Grant était totalement hypothétique. Même sans l’intervention de Jesse, le pistolet aurait pu s’enrayer ou la balle manquer sa cible. Il se sentait gêné de se voir attribuer le mérite d’un acte d’héroïsme purement théorique. Mais la perte de ses Oakley, ça, c’était une véritable tragédie. Elles amélioraient si bien sa vision, les jours de grand soleil. Elles lui donnaient une telle allure !

Dès les premières lignes, l’auteur donne le ton : ce sera un roman un peu à part dans sa bibliographie, où un humour léger baignera l’ensemble et donnera lieu à quelques scènes cocasses : des évanouissements à la vue d'un hélicoptère, le choc de la vision d'une femme en pantalon, et où les moeurs du futur à la morale douteuse pour les gens du 19ème siècle :  "Où les femmes et les nègres ont le droit de vote et où les petits pédés peuvent se marier entre eux." L'intrigue se déroulant du temps du Far West, ce sera l'occasion aussi de découvrir quelques bons mots du langage de jadis :
"Les hivers de l’Illinois sont plus froids que la chatte d’une bonne sœur. "
Donc Robert Charles Wilson se dévergonde, adopte un ton plus léger que le reste de ses autres textes sans oublier tout de même une réflexion autour du voyage temporel et de fait sur notre époque et le supposé progrès.


Dans les Chronolithes, des monuments apparaissaient soudainement pour clamer au passé les victoires militaires futures de l'hypothétique seigneur de guerre Kuin. Ici, il s'agit d'un futur issu d'un monde parallèle. Pas de risque de modifier la trame temporelle, celle ci étant multiple. Si vous êtes fan de paradoxes temporels, passez votre chemin, ce n'est pas le sujet de ce roman. Son apport est autre : souvent, il est question de voyageurs temporels visitant le passé, c'est le cas ici aussi, mais l'auteur y ajoute un petit plus : Pourquoi les autochtones ne seraient pas intéressés par les gens du futur. La nouveauté est bien là. Les gens du passé viennent voir les technologies extraordinaires et moeurs révoltantes du futur, les voyageurs du futur viennent y reluquer depuis leur confort moderne le mode de vie des autochtones (double bénéfice). Une exposition coloniale remis au gout du jour. 

Les clients du XXIe siècle ont droit à une visite guidée de 1876 et ceux de 1876 peuvent avoir un aperçu édulcoré du XXIe siècle.

De quoi interroger la place et le rôle de la femme, des étrangers, des déviants, de la norme sociale et in fine le progrès.
A son actif aussi, RCW s'attarde sur la notion de voyage et de son implication quand il est au main de grandes entreprises. Le tourisme à la sauce capitaliste est-il éthique ? Vaste question qui sera débattu dans ces pages. Où le progrès est égale à la quantité de profit récolté, et qu'importe les conséquences. (Si vous venez de réservez vos vacances dans des contrées pittoresques, paradisiaques ou aventureuses, ce livre va vous faire réfléchir à votre geste)

Sans parler de tous les problèmes éthiques. Le fait de vous considérer comme une destination touristique. Et donc de foutre la merde dans votre histoire, ce qui peut être moralement répréhensible. Ou de ne pas la modifier, ce qui soulève également une question morale.

Alors, La cité du futur est il pour autant un excellent roman ? Non. Tout ce dont je vous parle plus haut est contenu dans la première partie. Le reste est une enquête et thriller qui manque cruellement d'originalité de dynamisme et de liant avec les propos antérieurs. Les péripéties s'enchainent de manière linéaire, le duo de personnages passe futur n'arrivant pas à relever l'ensemble. J'avais parfois l'impression que l'auteur tirait à la ligne comme lors du long chapitre sur l'assaut du manoir de famille. La toute fin relève toutefois l'ensemble par le fait de son ouverture.

Dans les histoires de voyages temporels, les auteurs nous parle du temps, Robert Charles Wilson préfère s'attarder sur le voyage mais de son positionnement original, il n'arrive pas à tenir la longueur d'un roman.
Reste une aventure pas désagréable, mais j'aurais aimé tellement plus.

Les deux tours de Futurity illustrant le livre m'ont fait penser au Mémorial de Vimy en hommage aux soldats canadiens morts pour la France durant la Première Guerre Mondiale.
Ajouter à l'image ci-dessous une diligence et un coucher de soleil et la couverture est identique.



Et une pierre de plus au challenge Robert, je t aime.

Apophis est sorti frustré de sa lecture, Stelphique a pris son shoot wilsonnien, et Yogo en est sorti avec un goût d'inachevé

Roman lu dans le cadre du challenge Robert je t'aime !


Challenge Lunes d'encre

 
https://lechiencritique.blogspot.fr/p/challenge-robert-je-taime.html

Quelques citations : 


Quant au charme et à l’innocence que j’espérais trouver… Ils existent, c’est vrai, mais pensez à tout ce qu’ils recouvrent. Le racisme. La misogynie et l’homophobie sont tellement enracinées qu’elles paraissent presque universelles. La haine des Irlandais, des Italiens, des Chinois… et l’on n’en voit pas beaucoup dans cette région.

Après un moment de réflexion, il déclara : « Vous autres, les femmes du XXIe siècle, vous me faites penser aux putains. »
Elizabeth se raidit sur sa chaise. Elle lui lança un regard dur, les yeux plissés.
« Ce n’est pas une insulte, expliqua-t-il. Je ne veux pas dire que vous avez une morale douteuse ni que vous êtes vénales ou méprisables. J’ai été élevé parmi les catins, et la plupart d’entre elles m’ont bien traité. Ce que je veux dire, c’est qu’elles ont l’habitude de s’exprimer franchement. Elles voient beaucoup de choses et elles portent un regard cynique sur le monde. En les écoutant parler, je me suis évité pas mal de déceptions en société. Cela m’a rendu plus prudent et m’a obligé à réfléchir sincèrement sur moi-même. Vous comprenez ? »
Elle mit longtemps à répondre. « Je crois que oui.
— Je pense que vous êtes une femme respectable, Elizabeth.

Kemp était un homme puissant, bien qu’il n’ait pas l’allure d’un magnat des affaires. Portant cette fois-ci un jean et une chemise sans cravate, il s’adressa à ses employés comme s’ils étaient ses égaux. Mais les gens du futur se conduisaient souvent de cette manière. Pour Jesse, ils ressemblaient à des enfants ayant grandi sans jamais apprendre à se comporter en adulte. Pourtant, les apparences sont trompeuses. Le pouvoir reste le pouvoir, même quand il ne porte pas de cravate.

Oh, je sais que ce n’était qu’une illusion. La camaraderie, la cordialité. Le passé et le futur qui se donnent la main. Mais c’était un beau rêve, non ?

14 commentaires:

  1. Ah! j'attendais ta chronique avec impatience! Je ne peux pas dire que je sois surprise, j'ai lu les autres avis cités et donc, le retour globalement mitigé n'est pas une surprise. J'espère que tu n'es pas trop déçu au regard de ton admiration pour l'auteur.
    Je le lirai quand même avec des attentes revues à la baisse.
    Je vais tenter les Chronolites dans un futur proche, puis BIOS si je parviens à mettre la main dessus...

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    1. La cité du futur ne sera pas Le grand roman wilsonien, mais il y en a tant, il peut se permettre de souffler un peu.
      Je m'attendais un peu à un roman divertissant, j'avais vu les notes sur good reader et la fin de la 4ème couverture annonçait la couleur.

      Après ta lecture de Blind Lake, Bios peut faire un joli parallèle.
      Et ne pas oublier Spin, la cerise sur le gateau.

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  2. Nous sommes d'accord, ce n'est pas le meilleur mais ce n'est pas le moins bon non plus. Cela ne m'a pas empêché de le dévorer. lol

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    1. Je dirais même plus que dévorer vu la célérité à laquelle tu as fais ta critique. (ça compense avec McDonald)

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  3. Le ressenti sur ce roman est unanime, même toi, malgré ta fidélité canine au grand RCW.

    La première partie fait envie.

    Pour l'illustration la ressemblance est frappante. Peut-être que Adrien Police est tombé là-dessus récemment, ou pas, et ça l'a marqué. Inconsciemment ou non (bien vu en tout cas).

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    1. A moins que ce soit Robert Charles Wilson lui même qui a eu l'idée en voyant ce monument... ;-)

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    2. @Samuel : Fidèle mais pas aveugle, j'essaye de rester objectif. Les dieux aussi font des erreurs.

      Si le monument de Vimy est bien une inspiration, je pencherai plus pour que ce soit Aurélien qui en a eu écho.
      Aurélien , Robert, si vous lisez ces lignes...

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  4. Pur hasard. Superbe mémorial d'ailleurs.

    Aurélien

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    1. Merci Aurélien d'avoir pris le temps de me répondre.

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    2. Y a plus qu'à attendre la réponse de Bob !

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    3. Je vais tenter de lui envoyer un message aussi...

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    4. Et bien, il m'a répondu sur Facebook :

      Thanks! The resemblance to the Vimy memorial never occurred to me, but it seems obvious now that you mention it. And thanks as well for the reassurance about the translation. Very much appreciated.

      PS : sur FB, il avait posté un message disant avoir reçu les exemplaires français de La cité du futur et s'interrogeait sur la qualité de la traduction. Je lui avait dit que cette dernière était une réussite.

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